Accueil » Contes de toujours » Peau d’Âne

Peau d’Âne

De Charles Perrault

Il était une fois un roi,

Le plus grand qui fût sur la terre,

Aimable en paix, terrible en guerre,

Seul enfin comparable à soi.

Ses voisins le craignaient, ses états étaient calmes,

Et l’on voyait de toutes parts

Fleurir, à l’ombre de ses palmes,

Et les vertus et les beaux-Arts.

Son aimable Moitié, sa Compagne Fidèle,

Etait si charmante et si belle,

Avait l’esprit si commode et si doux

Qu’il était encore avec elle

Moins heureux Roi qu’heureux époux.

De leur tendre et chaste Hyménée

Plein de douceur et d’agrément,

Avec tant de vertus une fille était née,

Qu’ils se consolaient aisément

De n’avoir pas de plus ample lignée.

Dans son vaste et riche Palais

Ce n’était que magnificence,

Partout y fourmillait une vive abondance

De courtisans et de valets,

Il avait dans son Ecurie

Grands et petits chevaux de toutes les façons,

Couverts de beaux carapaçons,

Roides d’or et de broderies.

Mais ce qui surprenait tout le monde en entrant,

C’est qu’au lieu le plus apparent,

Un maître Ane étalait ses deux grandes oreilles.

Cette injustice vous surprend,

Mais lorsque vous saurez ses vertus non pareilles,

Vous ne trouverez pas que l’honneur fût trop grand.

Tel et si net le forma la nature

Qu’il ne disait jamais d’ordure,

Mais bien beaux Ecus au soleil

Et Louis de toute manière,

Qu’on allait recueuillir sur la blonde litière

Tous les matins à son réveil.

Or le ciel qui parfois se lasse

De rendre les hommes contents,

Qui toujours à ses bien mêle quelque disgrâce,

Ainsi que la pluie au beau temps,

Permit qu’une âpre maladie

Tout à coup de la Reine attaquât les beaux jours.

Partout on cherche du secours,

Mais ni la faculté qui le Grec étudie,

Ni les charlatans ayant cours,

Ne purent tous ensemble arrêter l’incendie

Que la fièvre allumait en s’augmentant toujours.

Arrivée à sa dernière heure,

Elle dit au Roi son époux :

 » Trouvez bon qu’avant que je meure

J’exige une chose de vous,

C’est que s’il vous prenait envie

De vous remarier quand je n’y serai plus…

– Ah ! dit le Roi, ces soins sont superflus,

Je n’y songerai de ma vie,

Soyez en repos là-dessus,

– Je le crois bien, reprit la reine,

Si j’en prends à témoin votre amour véhément,

Mais pour m’en rendre certaine,

Je veux avoir votre serment,

Adouci toutefois par ce tempérament

Que si vous rencontrez une femme plus belle,

Mieux faite et plus sage que moi,

Vous pourrez franchement lui donner votre foi

Et vous marier avec elle. »

Sa confiance en ses attraits

Lui faisait regarder une telle promesse

Comme un serment, surpris avec adresse,

De ne se marier jamais.

Le Prince jura donc, les yeux baignés de larmes,

Tout ce que la Reine voulut,

La reine entre ses bras mourut,

Et jamais un Mari ne fit tant de vacarmes.

A l’ouïr sangloter et les nuits et les jours,

On jugea que le deuil ne lui durerait guère,

Et qu’il pleurait ses défuntes Amours

Comme un homme pressé qui veut sortir d’affaires.

On ne se trompa point. Au bout de quelques mois

Il voulut procéder à faire un nouveau choix,

Mais ce n’était pas chose aisée,

Il fallait garder son serment

Et que la nouvelle Epousée

Eût plus d’attrait et d’agrément

Que celle qu’on venait de mettre au monument.

Ni la cour en beautés fertiles,

Ni la campagne, ni la ville,

Ni les Royaumes d’alentour

Dont on alla faire le tour,

N’en purent fournir une telle,

L’infante seule était plus belle

Et possédait certains tendres appas

Que la défunte n’avait pas

Le Roi le remarqua lui-même

Et brûlant d’un amour extrême, Alla follement s’aviser

Que par cette raison il devait l’épouser

Il trouva même un Casuiste

Qui jugea que le cas se pouvait proposer.

Mais la jeune princesse triste

D’ouïr parler d’un tel amour,

Se lamentait et pleurait nuit et jour.

De mille chagrins l’âme en peine,

Elle alla trouver sa Marraine,

Loin dans une grotte à l’écart

De nacre et de Corail richement étoffée.

C’était une admirable Fée

Qui n’eut jamais de pareille en son Art.

Il n’est pas besoin qu’on vous dise

Ce qu’était une Fée en ces bienheureux temps,

Car je suis sur que votre Mie

Vous l’aura dit dès vos plus jeunes ans.

 » Je sais dit-elle, en voyant la princesse

Ce qui vous fait venir ici,

Je sais de votre coeur la profonde tristesse,

Mais avec moi n’ayez de souci.

Il n’est rien qui vous puisse nuire

Pourvu qu’à mes conseils vous vous laissiez conduire.

Votre père, il est vrai, voudrait vous épouser, écouter sa folle demande

Serait une faute bien grande,

Mais sans le contredire on le peut refuser.Peau d'Âne

Dites lui qu’il faut qu’il vous donne

Pour prendre vos désirs contents,

Avant qu’à son aomour votre coeur s’abandonne,

Un robe qui soit de la couleur du temps

Malgrè tout son pouvoir et toute sa richesse,

Quoique le ciel en tout favorise ses voeux,

Il ne pourra jamais accomplir sa promesse. « 

Aussitôt la jeune Princesse

L’alla dire en tremblant à son père amoureux

Qui dans le moment fit entendre

Aux tailleurs les plus importants

Que s’ils ne lui faisaient, sans trop le faire attendre,

Une robe qui fût de la couleur du temps,

Ils pouvaient s’assurer qu’il les ferait tous pendre.

Le second jour ne luisait pas encor

Qu’on apporta la robe désirée,

Le beau bleu de l’Empyrée

N’est pas, lorsqu’il est ceint de gros nuages d’or,

D’une couleur plus azurée.

De joie et de douleur l’Infante pénétrée

Ne sait que dire ni comment

Se dérober à son engagement.

 » Princesse, demandez-en une,

Lui dit sa marraine tout bas,

Qui plus brillante et moins commune,

Soit de la couleur de la lune.

Il ne vous la donnera pas. « 

A peine la Princesse en eut fait la demande

Que le Roi dit à son brodeur :

 » Que l’astre de la Nuit n’ait pas plus de splendeur

Et que dans quatre jours sans faute on me me la rende. « 

Le riche habillement fut fait au jour marqué,

Tel que le Roi s’en était expliqué

Dans les Cieux ou la Nuit a déployé ses voiles,

La lune est moins pompeuse en sa robe d’argent

Lors même qu’au milieu de son cours diligent

Sa plus vive clarté fait pâlir les étoiles.

La princesse admirant ce merveillex habit,

Etait à consentir presque délibérée,

Mais par sa marraine inspirée,

Au prince amoureux elle dit :

 » Je ne saurais être contente que je n’aie une robe encor plus brillante

Et de la couleur du soleil. « 

Le Prince qui l’aimait d’un amour sans pareil,

fit venir aussitôt un riche Lapidaire

Et lui commanda de la faire

D’un superbe tissu d’or et de diamants,

Disant que s’il manquait à le bien satisfaire

Il le fairait mourir au milieu des tourments.

Le Prince fut exempt de s’en donner la peine,

Car l’ouvrier industrieux,

Avant la fin de la semaine,

Fit apporter l’ouvrage précieux.

Si beau, si vif, si radieux,

Que le blond Amant de Clymène,

Lorsque sur la voûte des Cieux se promène,

D’un plus brillant éclat n’éblouit pas les yeux.

L’Infante que ces dons achévent de confondre,

A son père, à son Roi ne sait plus que répondre.

Sa marraine aussitôt la prenant par la main :

 » Il ne faut pas, lui dit-elle à l’oreille,

Demeurer en si beau chemin,

Est-ce une si grande merveille

Que tous ces dons que vous recevez,

Tant qu’il aura l’âne que vous avez,

Qui d’écus d’or sans cesse emplit sa bourse ?

Demandez lui la peau de ce rare Animal.

Comme il est toute sa ressource,

Vous ne l’obtiendrez pas, ou je raisonne mal. « 

Cette fée était bien savante,

Et cependant elle ignorait encor

Que l’amour violent pourvu qu’on le contente,

Compte pour rien l’argent et l’or.

La peau fut galamment aussitôt accordée

Que l’Infante l’eut demandée.

Cette peau quand on l’apporta

Terriblement l’épouvanta

Et la fit de son sort amèrement se plaindre

Sa marraine survint et lui représenta

Que quand on fait le bien on ne doit jamais craindre,

Qu’il faut laisser penser au Roi

Qu’elle était tout à fait disposée

A subir avec lui la conjugale Loi.

Mais qu’au même moment, seule et bien déguisée,

Il faut qu’elle s’en aille an quelque Etat lointain

Pour éviter un mal si proche et si certain.

 » Voici, poursuit-elle, une grande cassette

Où nous mettrons tous vos habits,

Votre miroir, votre toilette

Vos diamants et vos rubis.

Je vous donne ma baguette,

En la tenant en votre main, La cassette suivra votre chemin

Toujours sous la terre cachée.

Et lorsque vous voudrez l’ouvrir,

A peine mon bâton la Terre aura touchée

Qu’aussitôt à vos yeux elle viendra s’offrir.

Pour vous rendre méconnaissable,

La dépouille de l’Ane est un masque admirable.

Cachez-vous bien dans cette peau.

On ne croira jamais, tant elle est effroyable,

Qu’elle renferme rien de beau.

La princesse ainsi travestie

De chez la sage Fée à peine sortie,

Pendant la fraîcheur du matin,

Que le Prince qui pour la fête

De son heureux Hymen s’apprête,

Apprends tout effrayé son funeste destin.

Il n’est point de maison, de chemin, d’avenue,

Qu’on ne parcourent promptement,

Mais on s’agite vainement,

On peut deviner ce qu’elle est devenue.Peau d'Âne

Partout se répendit un triste et noir chagrin,

Plus de noces, plus de festin,

Plus de tarte, plus de dragées,

Les Dames de la Cour, toutes découragées,

N’en dinèrent point la plupart,

Mais du Curé sur tout la trisesse fur grande,

Car il en déjeuna fort tard,

Et qui pis est n’eut point d’offrande.

L’Infante cependant poursuivit son chemin,

Le visage couvert d’une vilaine crasse,

A tous passants elle tendait la main,

Et tâchait pour servir de trouver une place.

Mais les moins délicats et les plus malheureux

La voyant si maussade et si pleine d’ordure,

Ne voulaient écouter ni retirer chez eux

Une si sale créature.

Elle alla donc bien loin, encor plus loin,

Enfin elle arriva dans une Métaireie

Où la Fermière avait besoin

D’une souillon, dont l’insdustrie

Allât jusqu’à savoir bien laver des torchons

Et nettoyer l’auge à cochons

On la mit dans un coin au fond de la cuisine

Ou les valets, insolente vermine,

Ne faisaient que la tirailler,

La contredire et la railler,

Ils ne savaient quelle pièce lui faire,

La harcelant à tout propos,

Elle était la butte ordinaire

De tous leurs quolibets de tous leurs bons mots.

Elle avait le dimanche un peu de repos,

Car, ayant du atin fait sa petite affaire,

Elle entrait dans sa chambre et tenant son huis clos,

Elle se décrassait, puis ouvrait sa cassette,

Mettait proprement sa toilette

Rangeait dessus ses petits pots,

Devant son grand miroir, contente et satisfaite,

De la lune tantôt sa robe elle mettait

Tantôt celle où le feu et le soleil éclatait,

Tantôt la robe bleue

Que l’azur de Ciex ne saurait égaler,

Avec ce chagrin seul que les trainante queue,

Sur le plancher trop court ne pourvait s’étaler,

Elle aimait à se voir jeune, vermeille et blanche

Et plus brave cent fois que nulle autre n’était,

Ce doux plaisir la sustentait

Et la menait jusqu’à l’autre dimanche.

J’oubliais de dire en passant

Qu’en cette grande Métairie

D’un Roi magnifique et puissant

Se faisait la Ménagerie,

Que là, poules de Barbarie,

Râles, pintades, cormorans,

Oison musqués, canes petières,

Et mille autres oiseaux de bizarres manières,

Entre eux presque tous différents,

Remplissaient à l’envi dix cours toutes entières.

Le fils du Roi dans ce charmant séjour

Venait souvent au retour de la Chasse

Se reposer, boire à la glace

Avec les seigneurs de la Cour.

Tel ne fut point le beau Céphale,

Son air était Royal, sa mine martiale,

Propre à faire trembler les plus fiers bataillons,

Peau d’Ane de fort loin le vit avec tendresse,

Et reconnut par cette hardiesse

Que sous sa crasse et ses haillons

Elle gardait encor le coeur d’une Princesse.

 » Qu’il a l’air grand, quoiqu’il l’ait négligé,

Qu’il est aimable disait-elle,

Et que bienheurse est la belle

A qui son coeur est engagé !

D’une robe de rien s’il m’avait honorée,

Je m’en trouverais plus parée

Que de toutes celles que j’ai. « 

Un jour le jeune Prince errant à l’avanture

De basse-cour en basse-cour,

Passa dans une allée obscure

Où la Peau d’Ane était l’humble séjour,

Par hasard il mit l’oeil au trou de la serrure

Comme il était fête ce jour,

Elle avait pris une riche parure

Et ses superbes vêtements

Qui, tissus de fin or et de gros diamants,

Egalaient du Soleil la clarté la plus pure.

Le prince au gré de son désir

La contempla et ne peut qu’à peine,

En la voyant, reprendre haleine.

Tant il est comblé de plaisr,

Quels que soient les habits, la beauté du visage,

Son beau tour, sa vive blancheur,

Ses traits fins, sa jeune fraîcheur

Le touchent cent fois davantage,

Mais un certain air de grandeur

Plus encore une sage et modeste pudeur,

Des beautés de son âme assuré témoignage,

S’emparèrent de tout son coeur.

Trois fois dans la chaleur du feu qui le transporte,

Il voulut enfoncer la porte,

Mais croyant voir une Divinité,

Trois fois par le respect son bras fut arrêté.

Dans le palais, pensif il se retire,

Et là, nuit et jour il soupire,

Il ne veut plus aller au bal

Quoiqu’en soit dans le Carnaval.

Il hait la chasse, il hait la comédie,

Il n’a plus d’appétit, tout lui fait mal au coeur,

Et le fond de sa maladie

Est une triste et mortelle langueur.

Il s’enquit quelle était cette nymphe admirable

Qui demeurait dans une basse-cour,

Au fond d’une allée effroyable

Qu’on ne voit goutte en plein jour.

 » C’est lui dit-on, Peau d’Ane, en rien Nymphe ni belle

Et que Peau d’Ane l’on appelle,

A cause de la peau qu’elle met autour du cou,

De l’amour c’est le vrai remède,

La bête en un mot la plus laide,

Qu’on puisse voir après le loup. « 

On a beau dire, il ne saurait le croire,

Les traits que l’amour a tracés

Toujours présents en mémoire

N’en seront jamais effacés.

Cependant la Reine sa Mère

Qui n’a que lui d’enfant pleure et se désepère,

De déclarer son mal elle le presse en vain,

Il gémit, il pleure, il soupire,

Il ne dit rien, si ce n’est qu’il désire

Que Peau d’Ane lui fasse un gâteau de sa main,

Et sa mère ne sait ce que son fils veut dire.

 » O ciel ! Madame, lui dit-on,

Cette Peau d’Ane est une noire taupe

Plus vilaine encore plus gaupe

Que le sale Marmiton.

« – N’importe, dit la Reine, il le faut satisfaire

Et c’est à cela seul que nous devons songer. « 

Il aurait eu de l’or, tant l’aimait cette mère

S’il en avait voulu manger.

Peau d’Ane donc prend de la farine

Qu’elle avait fait bluter exprès

Pour rendre la pâte plus fine

Son sel, son beurre et ses oeufs frais,

Et pour bien faire sa galette,

S’enferme seule en sa chambrette

D’abord elle se décrassa

Les mains, les bras et le visage,

Et pris un corps d’argent que vite elle laça

Pour dignement faire l’ouvrage

Qu’aussitôt elle commença.

On dit qu’en travaillant un peu trop à la hâte,

De son doigt par hasard il tomba dans la pâte

Un des ses anneaux de grand prix,

Mais ceux qu’on tient savoir la fin de cette histoire

Assurent que par elle exprès il y fut mis.

Et pour moi franchement je l’oserai bien croire,

Fort sur que, quand le Prince à sa porte aborda

Et par le trou la regarda,

Elle s’en était aperçue.

Sur ce point la femme est si drue

Et son oeil va si promptement

Qu’on ne peut la voir un moment

Qu’elle ne sache qu’on la vue.

Je suis bien sûr encor, et j’en ferais serment,

Qu’elle ne douta point de son jeune Amant

La bague ne fût bien reçue.

On ne pétrit jamias un si friand morceau,

Et le Prince trouva la galette si bonne

Qu’il ne s’en fallut rien que d’une faim gloutonne

Il n’avalât aussi l’anneau.

Quand il en vit l’émeraude admirable,

Et du jonc d’or le cercle étroit,

Qui marquait la forme du doigt,

Son coeur en fût touché d’une joie incroyable,

Sous son chevet il le mit à l’instant,

Et son mal toujours augmentant,

Les medecins sages d’expérience,

En le voyant maigrir de jour en jour,

Jugèrent tous, par leur grande science,

Qu’il était malade d’amour.

Laisser une réponse

Votre adresse email ne sera pas publiéeLes champs requis sont surlignés *

*